ki Tissa : Mahatsit haShekel

Lorsque le soldat israélien Gilad Shalit avait été capturé le 25 juin 2006 par des terroristes palestiniens, l’émotion était grande en Israël. Le pays avait retenu son souffle jusqu’au 18 octobre 2011, jour de sa libération, en échange de mille prisonniers palestiniens. Cette solidarité nationale envers un seul citoyen avait forcé l’admiration, au point qu’un haut responsable saoudien avait déclaré qu’il aurait aimé être israélien, car le sort des concitoyens arabes ne préoccupe pas leurs peuples autant qu’en Israël.

La Parasha de ki Tissa ouvre sur le don d’un demi-sicle (un demi shekel) par personne. Le judaïsme s’interdit de compter des individus : chaque personne étant irremplaçable et infiniment précieuse, le dénombrement de vies humaines est proscrit. Le Texte indique que, pour recenser la population, chacun devra apporter en substitut à sa personne, un demi shekel מחצית השקל , et précise bien entendu, afin de ne pas fausser le dénombrement, que le riche ne pourra pas abonder, ni le pauvre diminuer. Normalement, demi se dit חצי . Ici, le texte dit מחצית, qu’on pourrait traduire par une « demi-ée » comme on dit une douzaine pour douze, sauf qu’ici le texte précise que c’est exactement une moitié de shekel qui est attendue, alors qu’une douzaine peut signifier « douze, à peu près ». Nous y reviendrons.

Les commentateurs se penchent sur cette idée de demi shekel, alors qu’il aurait été plus simple de demander un shekel chacun. Le fait que chaque personne n’apporte qu’un demi shekel met en lumière qu’un homme ne peut se suffire à sa personne : l’être humain a besoin de l’Autre pour exister. C’est dans le chemin qu’il fait vers l’Autre, que l’homme vit pleinement. Notons ici qu’il ne s’agit pas du conjoint – car sinon les célibataires apporteraient un shekel – mais du principe même de l’altérité. C’est par ma relation à l’Autre que j’existe et que ma vie s’épanouit.

Le livre des Proverbes dit ceci :

Mishlei 10:2 : וּצְדָקָה, תַּצִּיל מִמָּוֶת

La charité délivre de la mort

Cette promesse d’éternité ne doit pas être prise au sens littéral : le riche charitable ne serait pas, en plus, privilégié au point de devenir éternel. Mais la sensibilité à autrui, la capacité d’être à l’écoute du prochain, à l’écoute, c’est le moyen, le seul, de vivre, de ne pas être mort. En cela, la charité délivre de la mort : l’homme non charitable, insensible à l’Autre, est en quelque sorte déjà mort. C’est la charité – l’Autre – qui délivre de la mort.

Ici, dans la Parasha ki Tissa que nous lirons ce shabbat, la Thora nous parle du don d’un demi shekel, et utilise le mot מחצית

La lettre צ (Tsadé) qui se trouve au milieu de ce mot, évoque la charité צדקה (Tsedaka). De part et d’autre de cette lettre, les deux lettres forment le mot : חי = vivant. Puis aux extrêmes, les deux lettres forment le mot : מת = mort. La charité est ce qui éloigne de la mort, et rapproche de la vie. En quelque sorte, le schéma du mot מחצית doit être perçu comme ceci :

מ ח צ י ת

La charité délivre de la mort …

Déjà, dès le début de la Bible, dans le livre de la Genèse, la Thora avait mis cette phrase dans la bouche de Caïn, qui venait de commettre le meurtre de son frère Abel :

Béréshit (Genèse) 4:9 : הֲשֹׁמֵר אָחִי אָנֹכִי

Suis-je le gardien de mon frère ?

Pourquoi la Thora met-elle une telle phrase dans la bouche de Caïn, le premier criminel de l’Histoire, si ce n’est pour nous dire que ce n’est pas cela le projet divin pour l’Humanité ? Ce faisant, la Thora nous dit : Oui, tu es le gardien de ton frère ! Oui, tu as une responsabilité envers ton prochain : t’assurer de son bien-être. Le fait que cette phrase figure dès le début de la Bible indique que c’est le coeur du projet divin.

L’épreuve que traverse l’Humanité aujourd’hui, avec une épidémie qui paralyse sur toute la planète de nombreux aspects de l’activité humaine, doit nous rappeler cette notion : je suis le gardien de mon frère. Les précautions sanitaires, le confinement, mes initiatives économiques, ne sont pas là seulement pour me protéger. Je dois les mettre en œuvre en priorité pour protéger mon prochain. C’est seulement si chacun se préoccupe de protéger son prochain, et de préserver le fonctionnement de la collectivité, que l’humanité pourra perdurer dans sa qualité d’humanité.

La meilleure époque du judaïsme, nous dit le Talmud, était celle du roi Ezechias (חיזקיהו) car on pouvait couvrir six enfants avec une seule couverture. Or le seul moyen de couvrir six personnes, surtout six enfants, est que chacun se préoccupe de couvrir les autres, au lieu de tirer la couverture à lui.

Jean Paul Sartre, qui découvrait le judaïsme à travers Levinas et Benny Levy, avait déclaré : « Le juif pense que la fin du monde, de ce monde, et le surgissement de l’autre [monde], c’est l’apparition de l’existence éthique des hommes les uns pour les autres.»

C’est peut-être pour cela que la Bible met dans la bouche de Joseph cette phrase si bizarrement exprimée, comme pour répondre à Caïn et confirmer le projet divin :

Béréshit 37:16 : אֶתאַחַי אָנֹכִי מְבַקֵּשׁ 

C’est mes frères qui sont ma quête

Cette phrase pourrait compléter ou préciser beaucoup de nos échanges : c’est mon frère que je cherche.

Shabbat Shalom

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